Nous avons eu de la chance d'avoir été dans les
parages après la guerre. L'ile, propriété de l'Armée fut vendue en 1939 à
la Marine qui avait d'autres chats à fouetter. Les iles c'était
comme les collines et la mer, un domaine à exploiter pour son plaisir,
dans la mesure où on pouvait se le permettre. Il n'y avait pas foule.
On m'a dit un jour que j'étais veinarde d'avoir passé
mon temps à Riou. Lorsque j'étais gamine, c'était après la guerre,
c'était le voyage enchanté parce qu'il était rare. On débarquait
sur une espèce de quai, une tôle qui en fait était le toit du vivier,
puis il y avait des marches de briques et on arrivait à la maison
derrière les tamaris. Là, sur la terrasse mallonée de rouge, c'était
l'odeur particulière des tamaris et des doigts de sorcière chauffés au
soleil qui établissait le charme désuet de l'endroit.
Si on avait un jardin, on emportait un morceau de figue marine, que tous appelaient des doigts de sorcière. Tous ceux de Calelongue et des Goudes viennent de Riou (ceux de Sormiou aussi, car je connais au moins notre voisine Simone Ribaud qui en a mis dans son jardin des Goudes et très certainement à son cabanon de Sormiou ). Cette plante vient d'Afrique du Sud et a été introduite sur les balises, et autres endroits sableux marins par la Marine à l'époque de Napoléon III.
La Plage de l Aiglon vers 1970 - Cliché
Michel Soler
A Riou elle était établie sur le haut de la plage entre la terrasse et le sable où il y a des galets. C'était le domaine des doigts de sorcière et des lys de Riou. Je peux voir les lys des sables sur une plage du Portugal, il n'importe, ce sont les "lys de Riou" au parfum inéffable.
La veine c'était d'avoir un cabanon aux Goudes. La fin de la route, ce lieu exploité et ravâgé parce que sans grandes ressources, ce lieu, je l'ai reconnu avec étonnement en 1960 dans la description de Cannery Row de
John Steinbeck. Un port de pêche, des restos, des terrains vagues où
l'on abandonne des carcasses qui rouillent, des gens venus on ne sait
d'où, qui restent là parce que fonctionne la débrouille, avec son parfum
d'illégalité.
Somme toute, un poème, une puanteur, un grincement, une
lumière particulière
tout comme Monterey.
C'est parce que je passais mes vacances aux Goudes que j'y ai envoyé mes
fils, pour qu'ils connaissent ce que c'est que d'être dans un patelin où
on a la liberté, même s'il y a des dizaines d'yeux qui savent à tout
moment ce que l'on fait. On a l'impression que tout le monde se connait,
en fait c'était extrêmement stratifié. Les vacanciers ne se mêlaient
guère aux pêcheurs (et pour cause, les fils de pêcheurs travaillaient
avec leurs pères) les gens d'en bas ne fréquentaient guère ceux de la
route. Probablement parce qu'on était aussi bien chez soi, surtout au
temps des terrasses à treillard. Se baigner au quai, se rincer à la
fontaine, s'asseoir à table encore mouillée, les pieds pleins de sable,
puis repartir dans le soleil, la dernière bouchée avalée, passer
l'après-midi à jouer à la canasta chez les Cristianini, ou au
rami avec ma grand-mère et mes copains en attendant le bain de 4 heures
, ou le jeu de boules et le soir quoi de plus extraordinaire
que de s'installer en bande sur le quai ou sur un trottoir à regarder la
Voie Lactée, le derrière dans la poussière.
Mon grand-père Charles Robert était un Pêcheur du Dimanche. Il tombait du lit le dimanche à 5 heures pour aller pêcher à la palangrotte d'abord sur son Saf-Saf, puis dans les années 50 sur le Flambeau, et il revenait avec sa banaste plus ou moins pleine de pageots, sarengs et girelles vers 1 heure pour faire la tournée des bistrots : Le bar Mon Plaisir, le bar de la Marine, le bar Mistral, le Grand Bar des Goudes, le Bar Tempête. Plus il trinquait, plus il payait des tournées, il était donc très populaire!
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Charles Robert dans la Marine |
Charles Robert (milieu) - Arzew |
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Il en avait tiré une philosophie très proche de carpe diem. Il ne manquait jamais une occasion de faire la fête, d'ailleurs il aimait rire et être entouré. Comme il ouvrait volontiers son portefeuille, il fut bombardé Président de l'Union Nautique des Goudes, qui organisait aussi ce que mon père appelait les réjouissances d'été: Fêtes vénitiennes, joutes, courses de bateau, concours de décoration de cabanons, etc.
Nous avons passé tout un après-midi à faire les fleurs de glycines en papier qui décorent notre cabanon "Quiétude".
Gigi, le maçon qui apprit à faire du béton en étant réquisitionné par les allemands, Gigi donc, construisait sur la Placette une estrade avec les planches de coffrage à béton, un escalier sur le coté permettait l'entrée des "vedettes". Nous fournissions un immense drapeau bleu blanc rouge pour faire décor de fond. Chacun apportait sa chaise.
Il y eu même une corrida: Je ne sais qui avait apporté les vachettes,
mais c'est à la famille Sanchez que l'on dût les belles en mantilles
retenues par des peignes, qui rehaussaient définitivement le niveau de
l'audience. Le toréador ne semble pas craindre pour sa vie.
Ce radeau, avec 3 hommes à bord, un Parisien René Larivière, un
Anglais et un Américain, échoua aux Goudes après avoir essayé de
traverser la Méditerranée.. Un Kon-tiki parisien ! N'ayant pu repartir,
il nous servit de plongeoir tout l'été, pendant que l'équipage se
remettait au cabanon, puis abandonnait l'aventure, sauf le parisien qui
étant maçon pu intégrer le village du bout de la route. Mon grand père
l'hébergea au cabanon pendant au moins un an.
Je suppose qu'après la pêche Granpa faisait la sieste dans l'après-midi,
mais je n'étais pas là. Le toit du cabanon ne risquait pas de me tomber
sur la tête. Inoubliables soirées aux Goudes avec des parents et des
grand-parents qui faisaient la fête jusqu'à 2 heures du matin avec leurs
amis, se poursuivaient dans les rues en se lançant des seaux d'eau,
utilisaient un lutrin pour chanter en choeur des chansons de carabins,
et me fichaient une paix royale, sans m'obliger à aller me coucher.
Mon grand-père pêchait avec le Père Rimbaud, le père André, avec
"Pénible" Blache. Mon père aimait bien Felix Gaudin, le père Jacques
Agrifoglio,
ses fils Louis-Jacques, Honoré et enfin Paul Gagero.
Gagero avait échappé à un cancer de la gorge grâce à
des radiations qui lui avaient brûlé tout le cou. Paul avait travaillé à
bord des paquebots transatlantiques comme le feront ses fils Jeannot et Riri.
Pendant la guerre les nazis l'avaient autorisé à rester aux Goudes. Il
habitait notre cabanon, le sien (l'une des premières constructions, les
bureaux de l'usine de soude) étant sur la plage derrière le mur
construit par les Allemands, et donc interdit d'accès.
Après la guerre, Granda décida d'aller faire une bouillabaisse sur Riou. Gagero était patron-pêcheur. Nous avons donc pêché les poissons le matin, et Paul qui avait été cuisinier sur les paquebots, avait emporté une énorme marmite noire dans laquelle il prépara la bouillabaisse sous les tamaris de l'Aiglon. Les poissons trop frais et trop petits fondirent au grand dépit des pêcheurs, mais elle reste pour moi la plus somptueuse des soupes. Chacun aux Goudes a connu cela: Pommes de terres, safran et poissons de roches (sarengs, verdaous, roucaous, rascasses), fenouil, tortillon d'écorce d'orange séchée, c'est toute la recette. J'écoutais Suzette Bezza raconter exactement la même sortie avec la même marmite, mais c'était son père Fernand Regio qui officiait.
Plus tard dans l'après-midi, nous sommes allés "boire un coup" à Podestat, où il y avait un bar-restaurant et rien d'autre. Mais sur les pentes après la plage de galets fleurissaient des oeillets nains roses comme on en trouve encore entre les Goudes et Calelongue. C'est la deuxième des fleurs de mon panthéon botanique. La troisième ne pousse pas sur Riou mais dans les Calanques, c'est l'Asphodèle, La quatrième c'est l'Iris nain jaune ou violet qui pousse dans les pierrailles du plateau des 4 vents près de la Gardiole et à Marseilleveyre. Avec le lys de Riou, que l'on trouve à Marseilleveyre et aux Croisettes en face Maïre ce sont mes 4 "gentlemen" des Calanques (Les 4 Gentlemen des Peintres Chinois sont le Bambou, l'orchidée, le chrysanthème et la fleur de prunier )
Mon père qui détestait les
foules, ne mettait plus les pieds à l'Aiglon.
( La plage de Riou a toujours été pour nous la plage de l'Aiglon, même
nom que le vallon qu'elle termine, et comme il n'y a pas d'aigle à Riou, on
peut supposer que c'est en souvenir du fils de Napoléon, ce qui pourrait
dater la batterie). Aux autres le sable blond, à nous la
rocaille de Fontagne.
Nous assistions au débarquement de la vedette de Marseille, et tout
ça partait à la queue-le-leu vers l'Aiglon. On remarquera qu'après le
coup de Labé qui emporta le débarcadère, mon père ne leva pas le petit
doigt pour le remplacer.
D'après Pierrot Vottero, pêcheur des Goudes, c'était la vedette de la
Madrague qui amenait les gens. Son propriétaire avait non seulement
construit le débarcadère de Fontagne, mais aussi bétonné le dessus du
vivier de l'Aiglon pour en faire un quai. Aussi d'après Pierrot,
il y aurait eu un capucin assis sur un rocher pendant des années du
temps de son grand-père, d'où l'appellation de
Gouache par JM Marchand ADBdR 13Fbis2 (ca 1804) de la chapelle de St Michel d'Aïgue Douce mais batie dans la grotte de l'Ermite |
A l'intérieur de la grotte de l'Ermite. |
Ce qui sépare ces grottes des autres et explique que des moines y
aient vécu pendant 500 ans c'est l'eau: Dans cette grotte elle
s'accumulait dans ce que mon père appelait le "bénitier". En hauteur,
construit en demi-cercle en maçonnerie, l'eau limpide laissait voir
au fond un dépôt très fin beige clair. Une goutte y tombait de
temps à autre.
Sur la photo suivante, ce devait être une année de sècheresse, car ma
mère et sa soeur Josette sont dedans!
Je pense que c'est dans les années 54/55 que nous explorions le massif
St Michel, descendant jusqu'au lac interieur de St Michel d'Eau Douce, dévalant
l'éboulis en cailloutis fin sous la grotte. Le bénitier était encore
là. Il n'est plus: un figuier et le lierre qui tapissait le plafond de
la grotte sont seuls témoins de la présence d'eau dans la grotte de
l'Ermite, ainsi que les nombreux tessons de cruches du XVII et XVIIIème.
Le lierre du plafond est aussi en voie de disparition. Celui sur la
droite a disparu depuis longtemps.
Après ses déboires avec le mauvais temps mon père bâtit le cabanon
de Fontagne pour 2 personnes maximum. On ne tenait pas à 6 devant.
Nos amis Devergie, qui ne restaient pas coucher sur l'ile, s'installèrent un
peu plus haut que le cabanon de Fontagne sur un terrassement naturel.
Ils n'auraient jamais penser à installer ce "toit".
Le leur était en canisses. Déjà la
"table de la salle à manger" n'était arrivée là que parce qu'elle était
gratuite.
C'est aujourd'hui l'endroit le mieux entretenu de l'ile. Il permet l'accueil des visiteurs du CEEP.
J'ai eu deux professeurs extraordinaires au Lycée
Montgrand. Helène Pellegrin, prof d'histoire et géographie, première
femme à être descendue dans un volcan, et Mme Baja prof de Sciences
Nat. J'aimais la géographie, mais pas tellement l'histoire, ce fut donc
vers les Sciences Naturelles que je me dirigeais. Après le SPCN, je dus
travailler mi-temps car je voulais aller sur les circuits de F1. Je
faisais un herbier monstre et j'envisageais d'utiliser les cartes de mon
père pour faire la carte des plantes du bord de mer. Je préférais
la botanique à la zoologie, car je n'aimais pas disséquer des tortues
ou voir dans un labo 50 grenouilles écervelées continuer à avoir des
reflexes. Je trouvais qu'une démonstration aurait bien suffit.
Mais la botanique laissait aussi à désirer. Savoir par cœur que cette
fleur a 3 pétales et l'autre 4, me paraissait une perte de temps, même
si on a la chance d'avoir une bonne mémoire. Ce n'est qu'en 1962 que je
jetais l'éponge et décidais de partir aux USA pour apprendre l'anglais
et me consacrer aux courses automobiles.
L'été suivant, mon père, qui au fond était ravi de me voir jeter mon
avenir par dessus les moulins de la F.1, me confia le Flambeau. Nous
voilà quittant les Goudes en 1964 pour aller à Riou. On remarquera la
plage de sable des Goudes où nous faisions des parties de sèbe à se
casser les reins,
les bateaux en cabesailles, les bateaux de pêcheurs sans cabines.
Pas encore de glacis, pas encore de pannes
En 1966 mon père nous mena, mon mari et moi, à Riou.
Peter avait un problème à l'oreille interne qui lui donnait le mal de
mer. Il se mit à la barre sur les conseils de mon père et put profiter
du voyage. Dans la Calanque des Anglais c'est lui qui remarqua un
cormoran, le premier que nous ayons jamais vu.
L'oiseau nageait sous l'eau, et ressemblait au roadrunner et mon père le
baptisa Chaparral des mers. Nous avons admiré le chantier de Fontagne,
et au retour Peter vit aussi un poisson lune.
Il avait oublié le mal de mer, mais sa condition empirant nous n'avons
plus navigué que sur des ferries Je l'appelais Escartefigue pour faire
bonne mesure. Ce n'est qu'en 1977 que je menais mes deux fils
Christopher et Patrick sur Riou grâce aux Devergie et leur bateau le
Yeti.
25 ans plus tard je remis enfin les pieds sur l'Ile grâce à Alain Mante.
Les endroits enchantés de mon enfance sont réduits à ça
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