Riou et les Calanques du docteur Albert

Riou et les Calanques après la guerre

Errances et Réflexions d'une Promeneuse Solitaire


Cliché Michèle Weismann

IL y a 65 ANS notre Ile au soleil tout près des Goudes

Nous avons eu de la chance d'avoir été dans les parages après la guerre. L'ile, propriété de l'Armée fut vendue en 1939 à la Marine  qui avait d'autres chats à fouetter. Les iles c'était comme les collines et la mer, un domaine à exploiter pour son plaisir, dans la mesure où on pouvait se le permettre. Il n'y avait pas foule.
On m'a dit un jour que j'étais veinarde d'avoir passé mon temps à Riou. Lorsque j'étais gamine, c'était après la guerre, c'était le voyage enchanté parce qu'il était rare. On débarquait sur une espèce de quai, une tôle qui en fait était le toit du vivier, puis il y avait des marches de briques et on arrivait à la maison derrière les tamaris. Là, sur la terrasse mallonée de rouge, c'était l'odeur particulière des tamaris et des doigts de sorcière chauffés au soleil qui établissait le charme désuet de l'endroit.

Si on avait un jardin, on emportait un morceau de figue marine, que tous appelaient des doigts de sorcière. Tous ceux de Calelongue et des Goudes viennent de Riou (ceux de Sormiou aussi, car je connais au moins notre voisine Simone Ribaud qui en a mis dans son jardin des Goudes et très certainement à son cabanon de Sormiou ).  Cette plante  vient d'Afrique du Sud et a été introduite sur les balises, et autres endroits sableux marins par la Marine à l'époque de Napoléon III. 


La Plage de l Aiglon  vers 1970 - Cliché Michel Soler

A Riou elle était établie sur le haut de la plage entre la terrasse et le sable où il y a des galets. C'était le domaine des doigts de sorcière et des lys de Riou. Je peux voir les lys des sables sur une plage du Portugal, il n'importe, ce sont les "lys de Riou" au parfum inéffable.

Les doigts de sorcière et les lys de Riou
ou les Carpobrotus edulis et les Pancratium maritimum..

 

La veine c'était d'avoir un cabanon aux Goudes. La fin de la route, ce lieu exploité et ravâgé parce que sans grandes ressources, ce lieu, je l'ai reconnu avec étonnement en 1960 dans la description de Cannery Row de John Steinbeck. Un port de pêche, des restos, des terrains vagues où l'on abandonne des carcasses qui rouillent, des gens venus on ne sait d'où, qui restent là parce que fonctionne la débrouille, avec son parfum d'illégalité.
Somme toute,
un poème, une puanteur, un grincement, une lumière particulière  tout comme Monterey.
C'est parce que je passais mes vacances aux Goudes que j'y ai envoyé mes fils, pour qu'ils connaissent ce que c'est que d'être dans un patelin où on a la liberté, même s'il y a des dizaines d'yeux qui savent à tout moment ce que l'on fait. On a l'impression que tout le monde se connait, en fait c'était extrêmement stratifié. Les vacanciers ne se mêlaient guère aux pêcheurs (et pour cause, les fils de pêcheurs travaillaient avec leurs pères) les gens d'en bas ne fréquentaient guère ceux de la route. Probablement parce qu'on était aussi bien chez soi, surtout au temps des terrasses à treillard. Se baigner au quai, se rincer à la fontaine, s'asseoir à table encore mouillée, les pieds pleins de sable, puis repartir dans le soleil, la dernière bouchée avalée, passer l'après-midi à jouer  à la canasta chez les Cristianini, ou au rami avec ma grand-mère et mes copains en attendant le bain de 4 heures , ou le jeu de boules et le soir quoi de plus extraordinaire que de s'installer en bande sur le quai ou sur un trottoir à regarder la Voie Lactée, le derrière dans la poussière.

Les deux petits cabanons: le Saf-Saf et Quiétude construits en 1908 dans les ruines de l'usine de soude

Les Goudes en 1896 - les ruines de l'usine de soude de 1817- les scories et la cheminée sur la gauche

Mon grand-père Charles Robert était un Pêcheur du Dimanche. Il tombait du lit le dimanche à 5 heures pour aller pêcher à la palangrotte  d'abord sur son Saf-Saf, puis dans les années 50 sur le Flambeau, et il revenait avec sa banaste plus ou moins pleine de pageots, sarengs et girelles vers 1 heure pour faire la tournée des bistrots : Le bar Mon Plaisir, le bar de la Marine, le bar Mistral, le Grand Bar des Goudes, le Bar Tempête.  Plus il trinquait, plus il payait des tournées, il était donc très populaire! 

Charles Robert dans la Marine

Charles Robert (milieu) - Arzew


Pendant la guerre de 14/18 il pilotait un hydravion et comme il avait été le seul survivant de son
escadrille, il fut envoyé en Algérie à Arzew former des pilotes.

Il en avait tiré une philosophie très proche de carpe diem. Il ne manquait jamais une occasion de faire la fête, d'ailleurs il aimait rire et être entouré. Comme il ouvrait volontiers son portefeuille, il fut bombardé Président de l'Union Nautique des Goudes, qui organisait aussi ce que mon père appelait les réjouissances d'été: Fêtes vénitiennes, joutes, courses de bateau, concours de décoration de cabanons, etc.


Il acheta le cabanon en 1921

Nous avons passé tout un après-midi à faire les fleurs de glycines en papier qui décorent notre cabanon "Quiétude".

Un après-midi à faire les poissons en papier "d'argent"des tablettes de chocolat pour la fête vénitienne à bord du Flambeau

Gigi, le maçon qui apprit à faire du béton en étant réquisitionné par les allemands, Gigi donc, construisait sur la Placette une estrade avec les planches de coffrage à béton, un escalier sur le coté permettait l'entrée des "vedettes". Nous fournissions un immense drapeau bleu blanc rouge pour faire décor de fond. Chacun apportait sa chaise.

Il y eu même une corrida: Je ne sais qui avait apporté les vachettes, mais c'est à la famille Sanchez que l'on dût les belles en mantilles retenues par des peignes, qui rehaussaient définitivement le niveau de l'audience. Le toréador ne semble pas craindre pour sa vie.

Ce radeau, avec 3 hommes à bord, un Parisien René Larivière, un Anglais et un Américain, échoua aux Goudes après avoir essayé de traverser la Méditerranée.. Un Kon-tiki parisien ! N'ayant pu repartir, il nous servit de plongeoir tout l'été, pendant que l'équipage se remettait au cabanon, puis abandonnait l'aventure, sauf le parisien qui étant maçon pu intégrer le village du bout de la route. Mon grand père l'hébergea au cabanon pendant au moins un an.
Je suppose qu'après la pêche Granpa faisait la sieste dans l'après-midi, mais je n'étais pas là. Le toit du cabanon ne risquait pas de me tomber sur la tête. Inoubliables soirées aux Goudes avec des parents et des grand-parents qui faisaient la fête jusqu'à 2 heures du matin avec leurs amis, se poursuivaient dans les rues en se lançant des seaux d'eau, utilisaient un lutrin pour chanter en choeur des chansons de carabins, et me fichaient une paix royale, sans m'obliger à aller me coucher.

Mon grand-père pêchait avec le Père Rimbaud, le père André, avec "Pénible" Blache. Mon père aimait bien Felix Gaudin, le père Jacques Agrifoglio, ses fils Louis-Jacques, Honoré et enfin Paul Gagero.

La rue du Louvre d'après le peintre André Rosello
Le père André avec la fouine, le père Robert avec les avirons, le père Rimbaud avec le salabre


Le Flambeau - retour de pêche

 

Le Pas de Géant en famille - 1939

Gagero avait échappé à un cancer de la gorge grâce à des radiations qui lui avaient brûlé tout le cou. Paul avait travaillé à bord des paquebots transatlantiques comme le feront ses fils Jeannot et Riri.
Pendant la guerre les nazis l'avaient autorisé à rester aux Goudes. Il habitait notre cabanon, le sien (l'une des premières constructions, les bureaux de l'usine de soude) étant sur la plage derrière le mur construit par les Allemands, et donc interdit d'accès.

Après la guerre, Granda décida d'aller faire une bouillabaisse sur Riou. Gagero était patron-pêcheur. Nous avons donc pêché les poissons le matin, et Paul qui avait été cuisinier sur les paquebots, avait emporté une énorme marmite noire dans laquelle il prépara la bouillabaisse sous les tamaris de l'Aiglon. Les poissons trop frais et trop petits fondirent au grand dépit des pêcheurs, mais elle reste pour moi la plus somptueuse des soupes. Chacun aux Goudes a connu cela: Pommes de terres, safran et poissons de roches (sarengs, verdaous, roucaous, rascasses), fenouil, tortillon d'écorce d'orange séchée, c'est toute la recette. J'écoutais Suzette Bezza raconter exactement la même sortie avec la même marmite, mais c'était son père Fernand Regio qui officiait.

Plus tard dans l'après-midi, nous sommes allés "boire un coup" à Podestat, où il y avait un bar-restaurant et rien d'autre. Mais sur les pentes après la plage de galets fleurissaient des oeillets nains roses comme on en trouve encore entre les Goudes et Calelongue.  C'est la deuxième des fleurs de mon panthéon botanique. La troisième ne pousse pas sur Riou mais dans les Calanques, c'est l'Asphodèle, La quatrième c'est l'Iris nain jaune ou violet qui pousse dans les pierrailles du plateau des 4 vents près de la Gardiole et à Marseilleveyre. Avec le lys de Riou, que l'on trouve à Marseilleveyre et aux Croisettes en face Maïre ce sont mes 4 "gentlemen" des Calanques (Les 4 Gentlemen des Peintres Chinois sont le Bambou, l'orchidée, le chrysanthème et la fleur de prunier )

La Calanque et la plage de l'Aiglon



Le Vallon de l'Aiglon

Mon père qui détestait les foules, ne mettait plus les pieds à l'Aiglon.
( La plage de Riou a toujours été pour nous la plage de l'Aiglon, même nom que le vallon qu'elle termine, et comme il n'y a pas d'aigle à Riou, on peut supposer que c'est en souvenir du fils de Napoléon, ce qui pourrait dater la batterie). Aux autres le sable blond, à nous la rocaille de Fontagne.
Nous assistions au débarquement de la vedette de Marseille, et tout ça partait à la queue-le-leu vers l'Aiglon. On remarquera qu'après le coup de Labé qui emporta le débarcadère, mon père ne leva pas le petit doigt pour le remplacer.
D'après Pierrot Vottero, pêcheur des Goudes, c'était la vedette de la Madrague qui amenait les gens. Son propriétaire avait non seulement construit le débarcadère de Fontagne, mais aussi bétonné le dessus du vivier de l'Aiglon pour en faire un quai. Aussi d'après Pierrot, il y aurait eu un capucin assis sur un rocher pendant des années du temps de son grand-père, d'où l'appellation de
Monasterio de la calanque sur la gauche de l'Aiglon. Il y a à l'aplomb de cette calanque, à l'angle de la falaise un petit amas de tuiles qui n'a aucune raison d'être là, à moins que cela n'ait servi de cabane au moine.* voir Il y a 290 ans...C'était l'époque de l'arrivée des Genois à Marseille. Ils pêchaient le corail. Ceux qui sont restés sont devenus tout naturellement pêcheurs. Pipo Meïni était de ceux-là, le grand-père Vottero, le grand-père Agrifoglio aussi.
Toutefois en 1865 le nom est déjà calanque de Monesteron dans le rapport de l'armée, et Bouillon-Landais l'appelle Menesteirol
. Sans aller jusqu'à St Cassien, on peut rappeler qu'il y eut un ermitage depuis 1395 dans la grotte au-dessus des Goudes. Ermitage mentionné sur le cadastre de Matheron de 1825, et peint par JM Marchand vers 1800.  Des "moines" ou des déserteurs il semble que toutes les grottes des Calanques en ont abrité.


La grotte de l'Ermite dans le Rocher de St Michel - La grotte de St Michel d'Aïgue Douce est la tache brune à gauche de la sorte de pilier de calcaire - La grotte en X ou de l'Ours est le X noir que l'on voit plus à gauche -

Gouache par JM Marchand ADBdR 13Fbis2 (ca 1804) de la chapelle de St Michel d'Aïgue Douce mais batie dans la grotte de l'Ermite

A l'intérieur de la grotte de l'Ermite.
Il ne reste que les fondations

Ce qui sépare ces grottes des autres et explique que des moines y aient vécu pendant 500 ans c'est l'eau: Dans cette grotte elle s'accumulait dans ce que mon père appelait le "bénitier". En hauteur, construit en demi-cercle en maçonnerie, l'eau limpide laissait voir au fond un dépôt très fin beige clair. Une goutte y tombait de temps à autre.
Sur la photo suivante, ce devait être une année de sècheresse, car ma mère et sa soeur Josette sont dedans!
Je pense que c'est dans les années 54/55 que nous explorions le massif St Michel, descendant jusqu'au lac interieur de St Michel d'Eau Douce, dévalant l'éboulis en cailloutis fin sous la grotte. Le bénitier était encore là. Il n'est plus: un figuier et le lierre qui tapissait le plafond de la grotte sont seuls témoins de la présence d'eau dans la grotte de l'Ermite, ainsi que les nombreux tessons de cruches du XVII et XVIIIème. Le lierre du plafond est aussi en voie de disparition. Celui sur la droite a disparu depuis longtemps.


Le Bénitier de la Grotte de l'Ermite en 1938/1939

La Grotte de Ste Barbe sur Riou ne peut abriter qu'un seul ermite ou un seul canon

Après ses déboires avec le mauvais temps mon père bâtit le cabanon de Fontagne pour 2 personnes maximum. On ne tenait pas à 6 devant.
Nos amis Devergie, qui ne restaient pas coucher sur l'ile, s'installèrent un peu plus haut que le cabanon de Fontagne sur un terrassement naturel.
  Ils n'auraient  jamais penser à installer ce "toit". Le leur était en canisses. Déjà la "table de la salle à manger" n'était arrivée là que parce qu'elle était gratuite.

C'est aujourd'hui l'endroit le mieux entretenu de l'ile. Il permet l'accueil des visiteurs du CEEP.

Ma mère et les gardes du CEEP, Alain,Yannick et Eric se préparent à aller enregistrer les puffins de l'autre coté de l'île pendant la nuit. Manquent Arnaud et Tim partis installer des nichoirs de béton.

J'ai eu deux professeurs extraordinaires au Lycée Montgrand. Helène Pellegrin, prof d'histoire et géographie, première femme à être descendue dans un volcan, et Mme Baja prof de Sciences Nat. J'aimais la géographie, mais pas tellement l'histoire, ce fut donc vers les Sciences Naturelles que je me dirigeais. Après le SPCN, je dus travailler mi-temps car je voulais aller sur les circuits de F1. Je faisais un herbier monstre et j'envisageais d'utiliser les cartes de mon père pour faire la carte  des plantes du bord de mer. Je préférais la botanique à la zoologie, car je n'aimais pas disséquer des tortues ou voir dans un labo 50 grenouilles écervelées continuer à avoir des reflexes. Je trouvais qu'une démonstration aurait bien suffit.
Mais la botanique laissait aussi à désirer. Savoir par cœur que cette fleur a 3 pétales et l'autre 4, me paraissait une perte de temps, même si on a la chance d'avoir une bonne mémoire. Ce n'est qu'en 1962 que je jetais l'éponge et décidais de partir aux USA pour apprendre l'anglais et me consacrer aux courses automobiles.
 L'été suivant, mon père, qui au fond était ravi de me voir jeter mon avenir par dessus les moulins de la F.1, me confia le Flambeau. Nous voilà quittant les Goudes en 1964 pour aller à Riou. On remarquera la plage de sable des Goudes où nous faisions des parties de sèbe à se casser les reins, les bateaux en cabesailles, les bateaux de pêcheurs sans cabines. Pas encore de glacis, pas encore de pannes
En 1966 mon père nous mena, mon mari et moi, à Riou.
Peter avait un problème à l'oreille interne qui lui donnait le mal de mer. Il se mit à la barre sur les conseils de mon père et put profiter du voyage. Dans la Calanque des Anglais c'est lui qui remarqua un cormoran, le premier que nous ayons jamais vu. L'oiseau nageait sous l'eau, et ressemblait au roadrunner et mon père le baptisa Chaparral des mers. Nous avons admiré le chantier de Fontagne, et au retour Peter vit aussi un poisson lune. Il avait oublié le mal de mer, mais sa condition empirant nous n'avons plus navigué que sur des ferries Je l'appelais Escartefigue pour faire bonne mesure. Ce n'est qu'en 1977 que je menais mes deux fils Christopher et Patrick sur Riou grâce aux Devergie et leur bateau le Yeti.

 

25 ans plus tard je remis enfin les pieds sur l'Ile grâce à Alain Mante.
Les endroits enchantés de mon enfance sont réduits à ça

Il n' y a plus de quai, ni de toit sur le vivier, mais c'est tout de même très beau

La coulée d'argile avec cette couleur extraordinaire est toujours là, mais l'escalier a pratiquement disparu

Celui qui menait à la plage est encore là, bien érodé. Les doigts de sorcière ont été arrachés car ils n'appartenaient à la flore de l'île que depuis 150 ans. Il faudrait peut-être enlever les tamaris dans ce cas là, ainsi que les agaves et les cactus! 

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