Riou et les Calanques du docteur Albert

Riou et les Calanques IL Y A 2100 ANS

Errances et Réflexions d'une Promeneuse Solitaire

Il y a 2100 ans les Pêcheurs de Thon qui nourrissaient les Légions Romaines puisaient de l'eau à Fontagne

 
 

Aussi incroyable que cela paraisse on trouve encore des vertèbres de thon vieilles de 2000 ans dans les pêcheries des Massaliotes au milieu des tessons d'amphores à saumure. Dans le site de l'Aiglon les destructions à la dynamite des maisons de la Calanque ont servi à camoufler les nombreux tessons sous d'innombrables morceaux de tuiles et de briques. Il devient aussi de plus en plus difficile de distinguer ce qui a 2000 ans de ce qui est apporté par les gabians des poubelles de la Crau.

Au moins l'un des tessons a été employé dans la construction des cabanons de l'Aiglon. Une anse de cette grosseur appartient à une amphore à huile fabriquée en Espagne, appelée Dressel 20.

 J'ai dit comment j'entendis le nom de Dressel la première fois. Cet archéologue allemand étudiant des amphores à Rome dressa une liste de 45 types d'amphores et leur attribua des numéros. Par exemple, ce qui est connu sous le nom de Dressel 1A est une amphore italienne pour transporter le vin dans les années -200 -100, la Variante Dr1B suit dans les années -100 à -25.

Cherchant toujours à faire des fouilles qui aient un rapport avec mon projet, je tombais sur un site "ArchaeoSpain" offrant 2 semaines de fouilles au Testaccio. Sur "Amphores, comment les identifier? j'avais lu à propos de Dressel qu'il avait travaillé sur une colline faite d'amphores cassées, empilées. D'après la brochure c'était au cœur de Rome(?),  à deux pas de la Pyramide  (?) et du joli temple rond près du Tibre, tholos de Castor et Pollux.  Il était question de 25 millions d'amphores. Foin des musées, je trouverai là les 45 amphores Dressel en morceaux certes, mais on peut au moins étudier la pate, le dégraissant, etc.
J'avais aussi été frappée dès le début par des contradictions. Les uns disaient que les amphores servaient une fois, d'autres qu'elles étaient recyclées. Il était évident que des gens de petite condition mettant la main sur une amphore même vide en auraient tiré parti, ne serait-ce que pour stocker de l'eau. Mais là, il était tout aussi évident que pendant 400 ans les Romains cassaient les amphores qui arrivaient dans leur port. Je me devais d'aller voir cela.
C'est ainsi qu'en Octobre 2005 je rejoignis 7 américains et une dizaine de doctorants de l'Université de Barcelone avec leur Professeur Remesal. Nous étions bien au cœur de Rome, la Pyramide étirée en hauteur était un tombeau de marbre, et la Colline d'Amphores était bien là avec une ceinture de discos et de bars, à coté des abattoirs. Las, pas question de trouver les 45 Dressels. Nos Spaniards ne s'intéressaient qu'à l'epigrafia des Dressel 20, c'est à dire les inscriptions sur les amphores à huile. Sur le haut de la colline, chaque année,  ils creusent des trous dans des épaisseurs de tessons. Car en haut de la colline, on ne trouve pratiquement que des amphores à huile venant de Bétique c'est à dire de l'Andalousie,  quelques unes d'Afrique, et encore moins de Grèce. Qui plus est, ces amphores, qui apportaient sous forme d'huile les impôts perçus par les Romains, rancissaient et ont été recouvertes de chaux. Pour pouvoir lire l'épigraphie il faut les tremper dans une solution acide, puis les brosser pour enlever la précipitation crayeuse.  L'un des doctorants, qui parlait très bien le français m'expliqua qu'on trouve les Dressel 20 partout, en Allemagne, en Ecosse. Déjà cette colline était incroyable, mais  attention, ce n'est pas du travail de Romain, c'est du travail d'Espagnol, car il fallait les tourner dans des ateliers tout le long du Guadalquivir, il fallait ramasser l'argile, l'eau, le combustible pour les cuire. Il fallait aussi récolter les olives, les presser, remplir les amphores, les transporter aux bateaux; J'ai calculé qu'il est parti l'équivalent d'un bateau chargé de mille amphores tous les 3 jours pendant 400 ans, parti de Bétique le plus souvent de Cadix, remontant la côte d'Espagne, suivant les Baléares cinglant vers Bonifacio et puis Rome, rien que pour bâtir cette colline du Testaccio. Et sur chaque amphore le poids de l'amphore vide, le nom du commerçant (je n'entrerai pas ici dans la querelle à propos de ß ) le poids de l'huile, la vérification. Cette fois-ci sur le Testaccio les Espagnols ne faisaient rien, c'était deux Romains, juste retour des choses, qui creusaient un trou de 2X5 sur 2m de profondeur. Professeur Remesal, sa barbiche à la Don Quixotte en bataille, me dit:" Ici nous les Espagnols, nous sommes chez nous, nous sommes en Bétique. Et les Français aimeraient bien y être, mais ils ne peuvent pas !"... Vive l'Europe!

Il n'y a qu'à se baisser pour les ramasser

Professeur Remesal était à la recherche du mur d'Hadrien, un "mur" d'amphores entre la partie vieille de la colline et la partie ajoutée contre le flanc plus tard. Les tessons s'empilaient dans des caisses, trempaient dans l'acide, puis étaient mis dans des bacs d'eau, entourés de 4 esclaves américains qui brossaient et se disputaient l'honneur de trouver une inscription et de pouvoir mettre leur tesson dans la caisse de l'epigrafia.

Beta est le nom du commerçant avec un trait en diagonale à la fin et les chiffres romains en noir, au dessous donnent le poids de l'huile.. Joli coup de plume!

 Nous n'avons pas retrouvé le mur d'amphores du temps d'Hadrien (voir photo ci-dessous) au fond de notre trou. Nous n'avons trouvé que les signatures des douaniers de l'époque de Commode, donc 189 après JC,  60 ans trop tard.  Pour moi j'ai aimé trouver le petit couvercle d'argile avec un pécou, qui fermait l'amphore.

              

J'ai aussi aimé trouver les "orientales" qui venaient de Grèce et les Tripolitaines ou les Bizacena tellement raffinées comparées aux Dressel 20 qui ont des parois de 1 à 2cms d'épaisseur. Nous ramassions des "forma" en plus de l'epigrafia. Les cageots s'empilaient, et les doctorants entamèrent la reconstitution du puzzle en  essayant de trouver le col, l'epigrafia, les anses qui venaient d'une même amphore. Ils jouèrent des coudes. L'un d'eux recopiait sur un calque en plastique toute l'épigraphie, un autre remplissait une fiche avec tous les détails des morceaux reconstitués. Car, comme partout, ils n'ont pas le droit d'emporter les tessons chez eux, seulement leurs data. Je suis repartie avec une grippe (j'ai oublié de dire qu'un jour sur deux il pleuvait) et une indigestion de Dressel 20!  C'est l'Amphore Incontournable: Pas un musée qui n'en a pas!  Il y en a même eu sur Riou.. retournons-y.

Si l'exploitation de la saumure a duré 100 ans d'une manière intensive, il y a relativement peu de casse surtout si l'on pense que les amphores utilisées étaient des amphores de transport avec des fonds pointus. Faute de trépieds on pourrait imaginer qu'elles étaient plantées dans le sable de la plage. Dans les galets entre la plage de l'Aiglon et les tamaris on trouve pas mal de morceaux roulés par la mer. Mais elles ont été aussi cassées sur les versants. Où étaient les bacs à saumure, et d'où venait le sel?  Là encore, l'exploitation de la Sablière au 19ème siècle et les locations de l'Armée (la Marine ne reprend l'île qu'en 1939)  a amené l'oblitération du tiers du site par la construction des cabanons, de la citerne, du vivier, des terrasses, des escaliers. Il est à craindre aussi que contrairement aux usines de salaisons de la Tunisie et ailleurs, nos pêcheries locales ont eu un caractère artisanal, pauvre, faisant avec les moyens du bord. On peut se demander si la citerne de la maison de l'Aiglon a été bâtie dans un bac à saumure..ce serait à droite du tamaris.  A moins qu'ils n'aient utilisé des dolia. Celui de Fontagne fait 50 cms de diamètre au col, mais la panse ne se renfle pas très vite et rappelle les jarres d'Entremont à Gaëtan Congès. Je n'ai pour l'instant pas trouvé d'équivalent dans les musées. Nous n'avons pas vu de tessons de ce type au Monasterio.
Après la pêche, nos pêcheurs massaliotes nettoyaient et coupaient leur poissons. Faisaient-ils du garum? On peut imaginer que oui, car les entrailles de thon devaient en produire une quantité intéressante, mais je n'ai pas encore vu de tesson d'amphore approprié. Mais s'ils puisaient de l'eau à Fontagne dans des amphores à saumures, ils les employaient sans doute aussi pour le garum.
S'ils faisaient du thon ils étaient donc sur l'île de mai à Novembre. Bonites et maquereaux devaient aussi être au menu.

Faisaient-ils sécher le poisson sur les versants? On ne voit pas pourquoi ils auraient stocké autant d'amphores sur une pente rocheuse.
 Et dans ce cas, où campaient-ils? Nous savons qu'ils prenaient de l'eau à boire à Fontagne et allaient jusqu'au Puits des chèvres. Il n'y a pas trace de leurs amphores à la Sablière., mais si leur campement était au milieu, il n'en resterait rien de nos jours. Ils pouvaient aussi camper plus loin dans le vallon de l'Aiglon. Mais là c'est un four à chaux recouvert de lentisques  qui couvre la zone.

L'endroit a été tellement remanié par la construction et destruction des maisons que l'on ne saurait dire s'ils campaient là. C'est plus à l'ouest que l'on trouve de la vaisselle fine, des anses de coupes, de la campanienne, mais l'endroit est très exposé. On peut imaginer qu'ils devaient rester pas trop loin pour empêcher les gabians de partir avec le poisson.

En rentrant de Grèce je suis allée voir à quoi ressemblaient les 2 sites contemporains de l'Aiglon et sa saumure. A l'île Verte, ce n'était pas  comme aurait dit Colette "Une île entourée d'eau, une île quoi!" mais une île entourée de bateaux. Les amphores du musée de la Ciotat qui sont de beaux exemplaires de massaliotes à fond de toupie et de romaines viennent de deux épaves. Les fonds sont en argile rouge et ont une forme beaucoup plus élégante que les Dressel 7/11 massaliotes que l'on trouve à Riou. Je pense que Riou pratiquait une pêche semblable à celle de l'Ile Verte , puis cela devint une industrie pendant une centaine d'année, vue la quantité de tessons. et l'étendue du site. Une visite aux Embiez s'est révélée très décevante.. l'eau à 24 degrés sans doute responsable d'une algue flottante et assez rebutante. Rien dans les endroits abordables et non développés qui ressemble à Riou.

 

Mon père se basant sur la racine latine du nom de la Calanque de Fontagne recherchait l'eau, c'est ainsi qu'il découvrit le point d'eau aménâgé par les pêcheurs de Massilia.

A Fontagne les tessons de la chambre sud et autour de la Fons sont en majorité des amphores à saumures. J'avais repêché ce col d'amphore massaliète dans la zone sableuse de la Calanque ce qui me permet de suggérer qu'à partir de
-500 les grecs de Massalia arpentaient l'île et débarquaient à Fontagne, mais semblaient habiter les Sablières.
Mais autour de la Fons et à l'intérieur de la chambre sud mon père a trouvé les tessons qui suivent.
Fernand Benoit consulté, lui dit qu'il s'agissait d'amphores massaliotes de -600 avant JC.
Ce site est le résultat de ma stupéfaction lorsque 12 ans après la mort de mon père, 37 ans après cette évaluation, Lucien François Gantès me dit que ces tessons dataient de l'époque du Christ!! et qui plus est qu'ils dataient de la pêcherie de thon de l'Aiglon!!


Les anses trouvées dans la Fons



Les cols trouvés dans et autour de la Fons


Les fonds d'amphores trouvés dans et autour de la Fons

Au Musée de St Raphael, les amphores sont entières, alors que je n'en ai que des morceaux!

Amphore Massaliote

Amphore d'Apulie

Dressel 2/4 à vin

Dressel 7/11 à saumures

Amphore gréco-italique
à vin

Dressel 20 de Bétique à huile
Musée des Vestiges, Marseille

Présentation d'amphores à saumures et à huile devant un bateau qui aurait pu les transporter.
Musée des Vestiges, Marseille

L-F Gantes pense qu'il s'agit d'un pavage antique. A l'ouest de la Calanque de l'Aiglon, il fait partie du sentier historique qui va de Fontagne au Puits des Chèvres.

Les tamaris ont été plantés sous l'égide du GEAR par mes parents dans la zone à l'ouest de la Fons. Les plantations à droite de l'amas de pierres en bas à gauche n'ont rien donné et ont été submergées par un lentisque depuis 1963.

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