Dans les Promenades artistiques de Marius Chaumelin
qui parurent dans le Petit Méridional vers 1856 on trouve quelques
précieuses informations.
Lorsqu'il aborde l'ile, il y a une maisonnette
à l'Aiglon ("qui n'existait pas 3 ans auparavant, construite par
l'entrepreneur des sablières") où l'occupant essaie de faire pousser
quelques légumes qui sont ravâgés par les chèvres sauvages qui faisaient
l'objet de parties de chasse auparavant. Il emploie les grands moyens
pour s'en débarrasser, invitant braconniers et chiens à coincer
les chèvres dont 8 se précipitèrent à la mer et furent récupérées
vivantes dans l'eau!
Il ne resta plus alors qu'un multitude de lapins, et le guide de
Chaumelin plongeant le bras dans un terrier en sort un par les oreilles.
Il mentionne aussi des "légions innombrables de lézards gris" sous
chaque feuille!
4 à 5 ouvriers sont incessamment occupés à faire des chargements de sable pour Marseille. L'un d'eux, monté pour orner d'une couronne à l'occasion du 15 Août, une croix dans la zone de la Vigie, le récupère un peu en perdition, et lui montre la Tour du Sarrasin, "plus ancien que Jésus-Christ"
On voit assez bien 150 ans plus tard le niveau qu'atteignait le sable avant l'exploitation
Il y a au nord du déversoir une habitation qui a dû abriter les ouvriers. Chaumelin n'y fait pas allusion.
2 habitations donc pour ceux qui firent un travail colossal: d'abord cette accumulation de pierres, les divers terrassements et 2 chemins de halage, ensuite l'évacuation du sable
Combien de tessons néolithiques ou étrusques ou grecs ont roulé sur cette pente pour aller finir dans un trottoir de Marseille?!
En 1866, un Sieur Serre demande à louer l'habitation du contremaître des travaux. Il s'agirait de Pierre Serre le déserteur de 1814 que je n'en serais pas surprise, puisqu'il avait tous les culots. La demande est reçue favorablement: "On est d'avis qu'il convient de lui donner à loyer à dire d'expert les emplacements et le droit de chasse" mais ne semble pas avoir eu de suite peut-être parce que "le locataire sera tenu d'exercer une surveillance active sur l'île de Riou". Le Sieur Serre s'il avait 20 ans en 1814, en aurait eu 72 en 1866. Et il n'aura peut-être pas apprécié de devoir devenir garde chiourme! Son expertise n'était pas dans ce domaine... mais il y a d'autres Serre malheureusement pour ma spéculation!
Mais c'est la première fois qu'il y est mentionné la surface de la maison 8m par 7m de large et la surface du jardin potager attenant 20m sur 12m, le tout faisant 296 m2. Ces 296 m2 se retrouveront dans tous les loyers à venir
La maison a été construite par "l'entrepreneur des fortifications (sic) sortant qui lui en a vendu les matériaux". Le contremaître des travaux payé par l'état ou la ville, construit une cabane dont il peut revendre les matériaux.. Nous restons donc propriétaires du cabanon de Fontagne, puisque mon père l'a construit à ses frais.296m2Par la suite, dans un décret datant du 1er Mai 1886, qui reprenait en fait une décision ministérielle du 29 Novembre 1865 reconnue "sans urgence" de construire un phare sur Riou, il est question d'une "construction dans l'Anse de Monesteron à quelques 200 mètres du point culminant de l'Ile où l'on trouve encore les ruines d'un ancien poste télégraphique"
Ici Monasteron
Le 10 Février 1886, l'emplacement d'une baraque et 296m2 sur Riou ont été loués à Bourelly ( expertise) avec droit de chasse. (Atlas des batteries ) J'ai retrouvé une famille Bourelly habitant dans les quartiers "chics" de la Pointe Rouge dans la seconde moitié du 19ème.
Puis en 1896 par un bail 3/6/9, le Génie Militaire loua pour 35F à Mr Louis Tronc, négociant de Marseille et secrétaire du Casino de Nice, un terrain de 296 m2 avec une ancienne baraque, avec droit de pêche et de chasse
dans toute l'Ile.
Avec deux compères Messieurs Zaphirolos et Mirbelli (l'un d'eux avait des chevaux de course et l'on peut penser que Zaphirolos était un de ces négociants grecs qui vinrent faire fortune à Marseille sous l'impulsion donnée par Napoléon III), il y fit aménager un long cabanon qui avait des carreaux au ciment, une pile en émail jaune, et une pièce qui servait de magasin pour le garde Pipo Meïni qui habitait sur l'île d'abord avec sa femme Assunta, puis avec sa soeur et sa petite-nièce Alphonsine dont la mère était morte en couches. Alphonsine avait 4 ans et restera 10 ans sur l'ile. Pipo Meïni fut garde jusqu'en 1927 d'après les notes de mon père.
Pipo avait un treuil à Fontagne pour tirer sa barque à terre,
Ce qui reste du treuil à FontagneIl avait un poste de pêche tout au bout de l'île à Caramassane où il pêchait les blades.
D'après Augustine Castillo, épouse d'Honoré Agrifoglio qui était un des fils
d'Alphonsine Meïni/Agrifoglio, il y avait un poulailler dans la cabane derrière le
cabanon, 3 réservoirs d'eau, et chaque soir à 19 heures Pipo envoyait un
message en morse. Il revenait de visites à Planier avec des sacs
plein de grives qui heurtaient le phare, attirées par la lumière. Augustine
est allée une fois sur l'ile, et ça lui a suffit. Il y a des rats à Riou!
Le bail fut renouvelé en 1905 par la Marine, car le 27 Octobre 1897
un décret affecta les Iles et leurs dépendances au Département de la Marine.
Jarre était affermée à Dame Veuve Ducreux et Plane à Mr. Peyron.
La Veuve Tronc demanda à renouveler le bail en 1913 et ce lui fut accordé .
Toujours dans les mêmes conditions.
Est-ce à cette époque que furent construits les 4 fours à chaux de
Riou? Il y en a un à Calelongue au Moyen Age,
mais ceux de Riou pourrait dater de l'époque des usines de soude de Morgiou
et des Goudes, donc du premier empire et servir aux savonneries.
Ou peut-être avant puisque c'est grâce aux Colbert père et fils que se
développèrent les huileries et savonneries de Marseille. Le paysage
politique des Calanques change.. plus de barbaresques, mais des pirates
anglais, bientôt plus de guetteurs, une batterie aux Croisettes avec 2 canons,
une au Four à Chaux de Marseilleveyre, des industries qui
vont exploiter ce bout du monde..
D'après Lucien Blanchard, le calcaire urgonien n'est pas
propre à donner de la chaux. Il faut donc
trouver des affleurements de calcaire aptien. Mais il n' y a pas de four à
chaux aux Croisettes!
Probablement faute de combustible. Calcaire aptien du coté de
Caramassane où il y a 2 fours.
Avec l'industrie se multiplient les postes de douane; Il en existait un aux Goudes entre l'usine à souffre Chambon
(cheminée noire sous le Rocher des Goudes) et
l'usine à plomb (Usine Figueroa Y Torres 1856) sur la route qui part vers
l'Escalette. La Douane était dans le grand bâtiment sur la gauche de la peinture
Il y avait dans le village une usine de soude artificielle (Rivalz ) depuis 1804 ou peut-être seulement 1811 (1825?!), sans compter les usines d'acide sulfurique de Calelongue (Usine Weiss) et celle de plomb de l'Escalette ( Usine Meynier en 1851). Les scories de ces usines ont été déversées sur les rochers et forment la route en revenant de Calelongue, le col entre la calanque de la Mahonnaise et les Goudes, la route entre Les Goudes et la Mahonnaise, la route des Goudes dans le village devant l'usine Chambon et la douane.
En 1825, Matheron dessine le cadastre. La batterie du Cap Croisette
(tableau d'Olive ci-dessous) y est, il y a une "cabane des Goudes"
sur la plage, et un énorme bâtiment qui ne peut être que la
fabrique de soude d'Antoine Rivalz (?), fermée
ou près de la faillite en 1828.
Sous la Placette il y a des vides qui ont servi depuis longtemps de fosses
septiques, au point où l'on a prétendu que l'eau venait jusque là dans
des temps reculés. Mais comme le niveau de la mer n'est pas monté plus d'un
mètre depuis l'arrivée des Grecs, la Placette n'a jamais pu être un port. L'épaisseur
des murs des cabanons, le mien, celui de Lucien Blanchard, plus de 50 cms
semble indiquer une construction beaucoup plus conséquente
que des cabanes de pêcheurs. Il est tout de même étonnant qu'il n'y ait eu
qu'une habitation en 1825, bien que Chaumelin explique que dans le
Vallon qui part des Baumettes vers Morgiou où
sévissait une autre fabrique de soude, la
végétations était anéantie par les émanations de chlore et de sulfure
. De plus, avant la construction de la digue juste avant 1898 l'anse des Goudes n'offrait
aucune protection contre les vents d'Ouest ou du Nord.
La batterie à 2 canons du Cap Croisette est sur les cartes de 1694, et faisait partie du dispositif de défense de la baie de Marseille élaboré par Vauban. Reconstruite par les soldats de Napoléon en 1812 elle est alors armée de 6 pièces. Le corps de garde sera loué par des bergers (Gustave Bounin en 1886) et durera jusqu'à son remplacement par le Fort Napoléon en 1933. Au dessous les scories des usines en pente vers le col, et le passage creusé dans la roche pour répandre les scorie au dessus de la calanque de Mourgeret, plus bas les cabanons construits dans les ruines de l'usine de soude; Sur cette photo prise vers 1900 on voit encore des pans de murs de 2 à 4m de haut.
2014: Je m'étais promis de ne pas m'attarder sur les usines, tellement il y a de personnes qui s'y intéressent pour différentes raisons, et parce qu'il y a encore des vestiges! Mais en attendant qu'elle publie son livre Sur la Route des Goudes, Anne LeDantec m'a passé deux documents suffisamment exceptionnels de par leurs dates pour que je les reproduise içi. Ce qu'elle appelle la soudière a fait l'objet d'une lithographie en 1828 par Deroy, et une photo qui montre l'anse des Goudes sans digue et sans quai, donc ouverte au Labé et au Mistral, ce qui explique qu'il n'y ait pas de cabanes de pêcheurs sur le cadastre.
Lithographie de 1828 d'une fabrique de soude à
Marseille par Isodore Deroy. Cette lithographie est tellement belle que
j'ai pensé qu'elle devait être une affiche de vente, lorsque la fabrique
périclite vers 1828: C'est plus compliqué.. Voir plus loin ma conclusion
(ACM)
Cette photo montre la pointe rocheuse où viendront s'acrocher la digue et le quai dès 1898. Elle montre aussi, en ruines, un des deux bâtiments au toit dissymétrique, vu par derrière. Ce bâtiment est au second plan sur la lithographie, et c'était sans doute les bureaux de la fabrique, ou le logement du concierge. Ce bâtiment est séparé de l'usine par ce qui deviendra l'avenue Désiré Pellaprat, et par une soigneuse reconstitution, nous avons déduit que c'est le cabanon des frères Gaggero, avec sur la gauche l'appartement du Nautica. Le Bar de la Marine (Bar Henri vers 1920) sera construit sur la droite, tandis que le cabanon des Gaggero sera muré un certain temps et perdra son toit à 2 pentes. Les deux bars élevés d'un étage reprendront vite le dessus. 1908 est l'époque de la construction des cabanons de la Placette, tout au moins du mien. Les 4 bicoques côté Ouest, n'ont fait que s'élever, et s'embellir, elles en avaient besoin!
Anne avait trouvé la végétation un peu trop luxuriante pour les Goudes. J'y voyais une extravagance d'artiste. En recherchant la date d'origine, je reçus une information qu'un sieur Hancy avait deux soudières pendant le premier Empire; une à la Redonne, une à Montredon! Celle de la Redonne date de 1832 et a été batie par un Mr Berthe sur la propriété de Monsieur de Montvallon.
Le bâtiment principal de la Redonne a subsisté comme auberge. Les 2
bâtiments aux toits dissymétriques ont disparu, laissant place à une
plateforme semblable à celle où s'étale la véranda de notre bar de la Marine,
surélevée aussi par rapport à la plage. L'emplacement est sensiblement
le même; une petite anse sableuse avec une avancée rocheuse où
s'installa Isodore en 1828. Aux Goudes, le cabanon des De Nicola a pris
place sur cette pointe rocheuse.
A la Redonne le Rocher est cerné par un
parking, et les deux anses ont disparu sous le béton: Les arbres sont
toujours là, derrière une maison qui est au même endroit
sur la litho. Le paysage derrière l'usine qui me tracassait si c'était
les Goudes car il ne montrait pas la falaise du Fort Napoléon, s'accorde
bien avec le vallon enjambé par le viaduc qui passe à peu près au niveau
de la cheminée de la soudière. Il me parait clair que les deux usines
ont été bâties sur les mêmes plans.
Et puis Anne trouve une autre photo de l'usine de la Redonne vers 1900,
avec le bâtiment de l'usine sans rien autour. Cela implique que l'usine
des Goudes serait la seule qui ait pu servir de modèle à la litho qui
montre sur la gauche une maison avec un premier étage, et un toit pentu
vers l'usine ! Un peu de jubilation vite dissipée lorsque la photo
1900 s'étale sur un écran d'ordi.. entre le bâtiment de l'usine et la route
il y a les fondations qui seront reprises pour une reconstruction à
l'identique, avec les pins derrière!!! La soudière de la Redonne est
bien celle de la lihographie de Deroy.
Sur la photo suivante, l'appartement du bar Mon Plaisir a une fenêtre,
celles des Gaggero sont murées, et une construction neuve est collée
à droite contre l'ancienne batisse.
Il est à noter que la Soudière de Rivalz, representée sur le cadastre de
Matheron de 1825 et sur celui de Delaveau de 1821,
proprieté d'Antoine Rivalz, s'est aggrandie après 1828 alors qu'elle était
près de la faillite. Rivalz s'associa à Hancy. L'usine rendait bien
entre 1837 et 1841 et ses fils
Pierre et Félix vers 1847 s'associèrent à JosephTassy. Pierre
épousa la soeur de Tassy qui épousa la soeur de Pierre. Une autre association se fait avec Barry en 1854, mais l'usine et les terrains
sont rapidement vendus à PRAT pour la construction d'un chemin de fer en 1855, puis sont
rachetés par Luis Figueroa en
1858. La rangée de cabanons attenant au bâtiment de la douane sont les
appartements des ouvriers de cette usine de cuivre et de plomb.
Sur une carte de 1864 de Mittenhoff, on trouve la Fabique (sic) de soude Rivalz et
Cie: L'usine a été vendue à Prat en 1855. 9 ans plus tard elle porte
toujours le nom des anciens propriétaires. La Soudière semble avoir cessé de
fabriquer après 1855.
L'usine de plomb Figueroa fermera vers 1877 (à confirmer).
En 1892 le fils Chambon, qui a racheté en 1892 l'usine de souffre de
O. Renard établie en 1860 sur le chemin des batteries, et plusieurs pêcheurs, y compris un Gaffarel
qui doit être de la famille du patron pêcheur de Cassis de 1813, signent une pétition
pour demander qu'un quai soit construit aux Goudes, car la plage n'a
aucune protection.
Sur la photo du port, derrière la voile latine est la pointe rocheuse sur
laquelle s'acrocheront la digue et le quai dès 1898. Cette pétition est
aussi signée entre autres, par
Marius et Claude Gaudin
dont la famille est toujours
representée aux Goudes
Cette région a servi de dépotoir depuis le décret de 1810 qui
exile les usines toxiques à Montredon et au delà, et la tradition sera reprise jusqu'au
jour d'aujourd'hui, par la ville de Marseille, qui sous prétexte que les Allemands ont laissé des
bunkers tous les 2 pas, en a profité pour déverser des tonnes de terre
et de gravats lors de la construction du métro
dans les collines entre la Madrague et Calelongue, avant de classer
le "site", altérant le paysage d'une façon indélébile. Lorsque la
mentalité est telle, il ne faut pas s'étonner
que chacun en fasse autant. Le vallon à la sortie des Goudes
continue d'être utilisé comme décharge de matériaux de construction par
tout un chacun, suivant l'exemple du gouvernement municipal. Et puis il
y le scandale de l'égout de Marseille. L'odeur chimique qui s'en dégage
empuantit le petit village de Marseilleveyre et remonte jusqu'en haut du
col de la Mounine. D'après les plongeurs il y a derrière Riou comme un
champs de sacs en plastique reposant au fond de la mer. Les goélands de
Riou se nourrissent dans les décharges à ciel ouvert qui parsèment la
côte.
On se demande comment ils font entre Menton et Cannes pour garder
leur patrimoine propre ? Autres lieux, autres moeurs?
Les sablières de Riou et de Maire ayant été raclées jusqu'à la roche en 1859, la construction de l'égout de Cortiou se fit aux dépends de la Calanque de Marseilleveyre au début du XXème siècle, mais cela aussi est très documenté et sans grand interêt. Une seule photo (vers 1904) suffit à montrer un four à chaux avec cheminée sur la plage même, la passerelle avec les wagonets pour charger les mahonnes, et les bâtiments de la batterie de 1811 qui seront retapés à cette occasion. La maison blanche s'élève à la place de la poudrière de 1811.
Sous l'impulsion de Napoleon III, les défenses côtières sont reprises
Le Sémaphore de Calelongue remplace les anciennes vigies et est en
contact avec le sémaphore du Cap Canaille
Vue du poste de Mounine, ci-dessous
Un autre poste de guet est nécessaire à Mounine, car du Semaphore on ne voit ni la côte, ni les calanques de Mounine et Marseilleveyre.
Vue du poste de Mounine à partir du Sémaphore de Calelongue
Pour la défense, on dôte les Goudes d'un fortin qui ne sera jamais
utilisé que par les squatteurs
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